Tuesday, July 17, 2007

Projet: Modes de déplacement à la marge dans la ville européenne

Mon projet sera axé autour des modes de déplacement marginaux dans la ville européenne. Ces modes de déplacement qui peuvent, par exemple, utiliser des « véhicules » tels les paires de rollers, ne sont généralement pas conçus comme des modes de transport, mais plutôt renvoyés (par les utilisateurs comme par les observateurs ou les administrations) comme relevant de la sphère ludique ou expressive.

Quel est le statut de cette marginalité dans le vécu des différents acteurs ? Quel est le rapport entre dimension expressive et dimension technico-pratique, à la fois dans les représentations des gens et dans les situations créées de fait ? Comment peut se gérer la contestation implicite ou explicite manifestée par l’irruption de ces usages nouveaux ? Telles sont les principales questions que l’enquête de terrain tâchera d’éclairer.



Premières pistes de problématique :

Ce projet de recherche part de la constatation que les villes d’Europe sont aujourd’hui confrontées à l’irruption de modes de déplacement relativement nouveaux, mais qui ne sont pas pour autant des modes de transport, ou en tout cas - et en première approche - ont plutôt tendance à être présentés par les pouvoirs publics comme des obstacles supplémentaires à la gestion planifiée des transports urbains. Le cas des utilisateurs de rollers (ou « patins en ligne ») peut servir ici d’exemple premier dans la mesure où c’est un phénomène d’ampleur notable qui semble en voie d’ascension, tout au moins dans une ville comme Paris, la comparaison internationale s’avérant ici indispensable.

Cependant, au-delà de ce cas de figure particulier, il s’agira de s’interroger sur le phénomène de démultiplication des modes de déplacement en tant qu’il remet en cause des modèles “ rationnels ” d’organisation du transport et de répartition de l’espace urbain. Autrement dit, de porter notre attention aux phénomènes qui contestent (de façon implicite ou de façon revendiquée) une politique de mobilité dans la ville définie d’en-haut.

I. Les émergences de modes de déplacement dans l’espace urbain contemporain

Dans cette première partie de l’enquête, je resituerai l’apparition et la diffusion de modes de déplacement du genre du skate-board ou du roller en prenant le cas de deux ou trois villes européennes : une ville française, une ville italienne et éventuellement une ville britannique : quelles sont les dates et les modalités concrètes de cette émergence ? Quels sont les espaces investis ? Les temporalités, les périodicités ?
Quelles sont les justifications et les significations données à ces usages nouveaux par les acteurs ? L’aspect ludique d’expression de soi et de jouissance à travers la vitesse et la virtuosité supplante-t-il totalement l’aspect fonctionnel ?
Quelles sont les résistances émanant de l’environnement ? des pouvoirs publics municipaux ?
Quelles sont les solutions existantes, les compromis possibles, les aménagements obligés au code de la route ?

La place du désordre dans l’aménagement du transport urbain

Au-delà du problème fonctionnel qui se pose à chaque fois qu’apparaît ou réapparaît un mode de transport marginal par rapport à celui dominant (par exemple, le vélo revenant demander une place sécurisée, autonome, à côté de l’automobile), il faut prendre en compte que certains modes de déplacement sont revendiqués pour leur aspect contestataire, destructurant, voire anarchique et qu’il est vain de vouloir à tout prix les normaliser puisque leur séduction tient justement à ce qu’ils se posent en dehors des normes : le roller ou le skate sont-ils dans l’ordre du déplacement ce que le verlan est au français châtié ? Il importe évidemment de vérifier les limites d’une telle hypothèse et ses déclinaisons selon les types d’usagers. Tous ces derniers n’expriment sans doute pas la même volonté contestataire ; certains peuvent trouver que l’aspect utilitaire est premier dans leur choix du véhicule (le roller plus que le skate où prédomine l’idée de performance réalisée sur des spots, des “ haut-lieux ” où peut se réaliser au mieux la monstration de l’habileté à manoeuvrer .

Méthodologie et planification du projet

La première partie sera consacré à un travail de problématisation et de préparation des observations. La deuxième partie sera dévolus au travail d’enquête dans les villes désignées par plages de temps à définir. L’enquête mettra en œuvre : l’observation directe pour évaluer l’ampleur, la fréquence, la géographie du phénomène ;
les entretiens avec des acteurs (utilisateurs, administration urbaine, spécialistes des transports, etc.)

Projet:Eléments d’analyse de l’organisation et du fonctionnement de l’Observatoire Parisien de la Démocratie Locale

Après quatre ans d’existence (installation en juillet 2003), les éléments du bilan présentés ci-dessous permettent d’avancer quelques préconisations pour l’éventuel renouvellement d’un tel organisme.


I. La participation : un enjeu considérable mais complexeOuvrir le gouvernement de la Ville de Paris à la participation de ses habitants est un enjeu d’une portée considérable pour le contenu des politiques publiques autant que pour les modalités de leur élaboration et de leur mise en œuvre et que pour les pratiques des acteurs concernés. L’importance de l’enjeu n’a d’égal que sa complexité. La participation démocratique s’inscrit en effet dans des formes très diversifiées : information, consultation, concertation, co-production ou co-gestion, auxquelles s’ajoute la prise en compte d’initiatives autonomes des habitants. Cette complexité est accrue du fait que ces formes diverses de la participation peuvent se recouper et se mêler et qu’elles ont toujours en outre à la fois une dimension individuelle et collective.

A cette diversité des formes de la démocratie participative s’ajoute la diversité des lieux où elle est appelée à s’exercer. On peut distinguer :

- les lieux qui lui sont explicitement dédiés, c’est-à-dire les différentes « instances » créées par la loi ou la délibération municipale : conseils de quartier, comités d’initiative et de consultation d’arrondissement (CICA), conseils de la jeunesse, de la vie étudiante, de la citoyenneté des Parisiens non communautaires, maisons des associations, près de 190 « instances » (! !) ;
- les actions d’aménagement urbain, à l’échelle de la ville (PLU, PDP, …), d’une partie de la ville (le tramway, les halles…), la ZAC (Paris Rive Gauche…), d’un quartier (le carreau du Temple…) ;
- les initiatives des habitants pour interpeler « la ville » ou prendre en charge une fonction d’utilité collective ;
- les relations entre un service public et ses usagers (l’école, les crèches, le logement, la propreté, l’eau, les transports, les équipements et services sociaux…) ;
- les institutions délibératives et exécutives de la démocratie représentative (les conseils et les maires et adjoints d’arrondissement, le conseil de Paris et son exécutif « politique », les services de l’Hôtel de Ville…).


II. Un outil inadapté à la dimension de l’enjeu

L’OPDL avait pour mission d’observer et d’évaluer l’ensemble de la démarche de démocratie participative dans toute la diversité des formes qu’elle peut revêtir et des lieux où elle peut s’exercer. Il devait en outre porter ses analyses et préconisations éventuelles auprès du Maire et les mettre en débat auprès de tous les acteurs concernés pour « pousser les feux » de la participation démocratique. L’ampleur de la tâche était, par définition, à la hauteur de l’enjeu. Mais, par nécessité, les moyens dont il disposait pour la remplir ne l’étaient pas, ni ses moyens humains, ni ses moyens institutionnels. Comment ses moyens humains auraient-ils pu être à la dimension de sa mission ? 28 bénévoles aux disponibilités variables mais en tout état de cause excessivement limitées et un appui technique de la « mission démocratie locale », certes de grande qualité, mais encore plus étroitement limité en disponibilité compte tenu de la modestie des effectifs de cette petite équipe, de l’étendue de ses autres responsabilités et de la surcharge de travail qui en découle… Voilà pour ses moyens humains.

Quant à ses moyens institutionnels, c’est-à-dire son positionnement par rapport à « l’institution » municipale, ils se sont, à l’expérience, avéré poser un certain nombre de problèmes pour un bon accomplissement de sa mission. Certains problèmes relèvent inévitablement de la « relativité » de son « indépendance ». Indépendant dans le choix de ses problématiques et de ses méthodologies, l’OPDL, en tant que commission extra-municipale, ne l’est pas pour autant dans deux domaines importants, l’accès au terrain et la publicité de ses travaux, où ses initiatives sont soumises à l’accord préalable de « l’autorité » municipale, ce qui peut parfois entraîner certains retards… En outre, sur un plan purement matériel, le rattachement juridique à la collectivité territoriale soumet l’OPDL aux contraintes et procédures qui en relèvent, notamment pour l’achat de biens ou prestations nécessaires pour son travail, ce qui, là aussi, peut entraîner certains retards voire certaines dépenses inutilement élevées.

Le plus lourd toutefois parmi les handicaps résultant de son positionnement institutionnel est l’ambiguïté de son statut « d’extériorité » par rapport aux champs de politique publique concernés par ses investigations. La « participation » en effet ne prend sens et efficience qu’en référence à des enjeux concrets, objets de décisions politiques. Or ceux qui gèrent ces espaces décisionnels, les élus et services concernés, ne sont pas présents à l’OPDL, comme si leur implication aurait pu nuire à la qualité de « l’observation » alors que c’est l’inverse qui est vrai. Depuis longtemps les chercheurs en sciences sociales ont reconnu la valeur ajoutée pour la recherche que constitue l’implication des acteurs sociaux dans le travail de recherche qui les concerne. Cette démarche de « recherche participative » est à l’évidence encore plus valable quand la participation constitue l’objet même de la recherche.

Cette extériorité de l’OPDL par rapport au champ qu’il est tenu « d’observer » se double d’une autre extériorité, celle de la responsabilité politique en matière de démocratie locale par rapport aux autres champs de responsabilité politique de l’équipe municipale. On a positionné la démocratie locale comme une responsabilité particulière, un « secteur » à part, détaché des autres, existant en soi et pour soi et non comme une responsabilité transversale, partagée par l’ensemble des secteurs de responsabilité politique. Un tel détachement, une telle extériorité, pose problème ; d’abord, sans doute, à l’adjointe déléguée à cette mission quant au positionnement de son champ de compétences par rapport à ceux de ses collègues mais aussi à l’OPDL lui-même pour l’appréhension de son objet d’investigation comme pour la conduite sur le terrain dans tel ou tel champ de politique publique où sa légitimité d’intervention doit chaque fois être redéfinie. On soulève ici un problème politique de fond qui dépasse évidemment celui du statut d’une adjointe et, a fortiori, celui du statut de l’OPDL. C’est celui du statut de la participation démocratique dans le projet politique d’ensemble de la municipalité.

Revenant toutefois au statut de l’observatoire, son extériorité est en outre relativement ambiguë. Elle est totale concernant les champs de politique publique mais elle n’est que partielle concernant les « instances » de démocratie participative puisque la moitié de ses membres en sont issus. Mais seuls siégent à l’OPDL ceux qui, dans ces instances, sont en position d’être consultés et non ceux qui les consultent et qui ont la responsabilité de mettre en place et de faire vivre ces instances. Cela peut induire des difficultés de positionnement personnel des « représentants » de ces instances au sein de l’OPDL, tiraillés entre le risque d’être accusés de trahir, par leurs observations critiques, ceux qui les ont mandatés et de gêner la mission des élus en charge de leur instance, soit, au contraire, de leur être trop soumis.


III. Des résultats limités mais néanmoins intéressants

Malgré la modestie de ses moyens et les ambiguïtés de son statut l’OPDL a pu réaliser des travaux de qualité dont font état ses rapports annuels (dont le contenu ne sera pas repris ici). Quelques remarques supplémentaires concernant la nature de sa production doivent cependant être faites dans ce bilan.

1. D’abord quelques remarques préalables concernent la qualité de la participation des membres de l’OPDL à ses activités. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre la coopération des deux « collèges » composant l’OPDL (14 représentants des « instances », 14 personnalités qualifiées) n’a pas constitué un problème en tant que telle. Les quelques rares difficultés relationnelles et les différences de disponibilité ou d’intérêt pour tel ou tel aspect de ses activités se sont manifestées autant à l’intérieur de chacun des deux collèges qu’entre eux. A l’expérience seule une petite moitié des membres de l’OPDL s’est vraiment impliquée dans la durée, tant pour participer aux réunions plénières que pour conduire des actions « de terrain », et ceux qui assistèrent le plus régulièrement aux plénières n’étaient pas tous investis dans des actions de terrain et inversement. Il est évident que les moyens limités de l’OPDL peuvent en grande partie expliquer la participation également limitée de ses membres.

2. Concernant son champ d’investigation, c’est là que la modestie de ses moyens d’action s’est fait le plus sentir.
A l’évidence la couverture systématique et en continu du fonctionnement et plus particulièrement des réunions de toutes les instances dédiées à la participation démocratique et des autres procédures de concertation associées aux différentes opérations d’urbanisme était hors de portée.
Même la tentative initiale de répartir entre les membres de l’OPDL le seul suivi des 121 conseils de quartier s’est avérée intenable. Restait la valorisation de l’expérience et de la compétence personnelle des uns et des autres à leur initiative ou à la demande de l’OPDL, au gré des opportunités et des disponibilités. Ainsi un petit collectif s’est constitué au sein de l’OPDL pour organiser et animer des séminaires ouverts au public qui ont connu un réel succès et suscité des interventions « de tribune » et des débats de qualité. Ainsi un membre de l’OPDL a mis son expérience militante, son expertise en matière d’urbanisme et ses compétences de journaliste au service de l’observatoire, prenant l’initiative d’analyser en profondeur et dans la durée un certain nombre d’opérations d’urbanisme. Ainsi un autre s’est attaché à l’analyse du fonctionnement des CICA en prenant appui sur un long passé de militant et responsable de comités de quartier et sur sa participation à l’élaboration de la loi qui les avait institués en 1982. Ainsi un autre membre de l’OPDL, partie prenante de la commission nationale du débat public, a mis sa compétence au profit de l’analyse du débat public organisé pour la création du tramway… Ainsi l’OPDL a pu bénéficier de la compétence de certains de ses membres universitaires mobilisant leurs étudiants pour réaliser une étude sur l’impact sur les services de leur ouverture à la participation des habitants. Ainsi etc. etc.

Beaucoup de terrains d’investigation possible n’ont toutefois pu être couverts, beaucoup de questions n’ont pu être explorées. Ainsi, par exemple, concernant l’impact de la participation démocratique sur le fonctionnement des institutions de la démocratie « représentative », un premier aspect a pu être partiellement exploré, à savoir l’impact sur certains services, démontrant l’intérêt crucial de cette question, mais rien n’a été fait concernant l’évolution des pratiques politiques des élus ; ainsi également, l’équilibre des pouvoirs entre les mairies d’arrondissement et l’Hôtel de Ville, le rôle des maisons des associations et bien d’autres questions importantes qu’on a pu identifier, n’ont fait l’objet d’aucune investigation de l’OPDL.

Rien non plus n’a pu être entrepris par l’OPDL pour explorer les conditions de participation des usagers des grands services publics parisiens ou pour analyser les conditions et modalités de mobilisation collective des parisiens sur les enjeux municipaux. Quant à la mise en débat, tant les séminaires de l’OPDL que sa participation à l’animation de débats des « printemps de la démocratie » montrent l’intérêt que pourrait avoir le développement de ses responsabilités dans ce domaine, mais soulignent aussi combien le peu qu’il a pu apporter aurait pu être mieux valorisé. L’entretien d’un débat public sur l’enjeu et les modalités d’une ouverture de la démocratie à la participation des citoyens demeure le moyen le plus sûr et le plus puissant pour la faire progresser. Ce devrait être une des missions essentielles d’un observatoire de la démocratie locale.


IV. Quelques suggestions pour un nouvel observatoire parisien de la démocratie locale
Elles résultent directement de ce rapide bilan.

1. Pour remédier aux inconvénients de l’extériorité de l’OPDL par rapport à ce qu’il doit observer, extériorité qui nuit tant à la qualité des diagnostics, des études et des évaluations qu’à l’appropriation des résultats de ses investigations par toutes les parties concernées : inclure toutes les catégories d’acteurs concernés dans la construction et le pilotage du projet et du programme de travail de l’OPDL.

2. Pour sortir du positionnement sectoriel de la problématique de la participation démocratique et affirmer au contraire sa transversalité, et donc celle de la mission assignée à l’OPDL, positionnement transversal de l’OPDL nécessaire tant à la mise en évidence de la pertinence de ses analyses pour les différentes politiques publiques sectorielles de la ville qu’à l’implication solidaire des adjoints et directions sectorielles concernés dans la mise en œuvre de sa mission : positionner l’OPDL directement auprès du Maire ou de son premier adjoint.

3. Pour remédier à la disproportion des moyens de l’OPDL par rapport à l’ampleur de sa tâche, à l’étendue de ses champs d’investigation et au nombre et à la diversité du problème à étudier : renoncer à la conduite en « régie directe » de toutes ses investigations et sous- traiter les études qu’il juge nécessaires à des organismes qualifiés.

Pour ce faire il doit évidemment conserver
- d’une part la capacité et la légitimité politique de choisir les problèmes méritant étude et d’en circonscrire la problématique,
- d’autre part la capacité et la légitimité scientifique de définir le cahier des charges de ces études, d’en choisir les opérateurs et d’en contrôler la réalisation.

4. Pour traduire ces principes dans la structure et le mode de fonctionnement de l’OPDL

a. Distinguer en son sein : - Un niveau de responsabilité politique partagée, sorte de conseil d’orientation, où seraient représentées toutes les « parties prenantes » (stakeholders) d’une politique de participation démocratique parisienne. Devraient notamment en faire partie : une représentation pluraliste du conseil de Paris, des responsables politiques et administratifs issus des principales directions sectorielles concernées, des responsables politiques et administratifs concernés de mairies d’arrondissement de la majorité et de l’opposition, une représentation des « instances » dédiées par la loi ou par la délibération du Conseil de Paris à la participation démocratique (conseils de quartier, maisons des associations, CICA notamment,), une représentation des dynamiques associatives de participation citoyenne (associations de défense des droits, ADELS, FONDA, centres sociaux, régies de quartier, cafés citoyens…).
Un bureau exécutif restreint en serait issu, présidé par une personnalité dont la compétence et l’impartialité devraient être reconnues par tous.
Ce conseil d’orientation serait chargé de circonscrire les champs de problèmes à étudier et d’y identifier les questions prioritaires, de construire l’agenda des travaux correspondant (dont les études à sous-traiter) et d’en arrêter le budget, d’en vérifier et valider la réalisation et d’en organiser la diffusion et la mise en débat.

- Un niveau de responsabilité scientifique, sorte de « conseil scientifique », composé de chercheurs spécialisés dans l’étude de la démocratie locale, issus des différentes disciplines concernées (sociologie, science politique, droit, urbanisme, géographie urbaine, histoire…).
Ce conseil scientifique serait chargé, par délégation du conseil d’orientation, d’élaborer la problématique et les principes méthodologiques des études à sous-traiter, d’en élaborer les cahiers des charges, d’en choisir les maîtres d’œuvre et d’en suivre la réalisation.
Un dispositif de représentation croisée et de concertation périodique entre le conseil d’orientation et le conseil scientifique veillerait à la cohérence d’ensemble de l’OPDL.

b. Clarifier les relations entre l’OPDL et l’exécutif parisien
Quel que soit le statut juridique de l’OPDL (association liée à la collectivité par une CPO, commission extra-municipale, « autorité » sui generis) l’essentiel est la clarté de ses relations avec la Mairie.
Résultant de la volonté politique de la Mairie de promouvoir la participation des parisiens et d’en évaluer les conditions et les effets, l’OPDL est, par définition, partie prenante de ce projet. Il en partage les intentions et est comptable, dans le cadre de sa mission, de leur réalisation, comptable devant le Maire.
Parallèlement, pour bien faire son travail, il doit être détaché de toute imputation partisane. L’autonomie et la rigueur scientifique de sa démarche conditionnent sa crédibilité, sa capacité d’investigation et l’utilité collective de sa production.
Bien au-delà du nécessaire arbitrage entre ce qui relève de la saisine et de l’auto-saisine dans la construction de son agenda, ce qui est plus fondamentalement en cause ici c’est la bonne articulation entre les deux faces de sa responsabilité :
- responsabilité vis à vis de la mairie, devoir de mettre en œuvre la mission qui lui est confiée et d’en rendre compte,
- responsabilité vis à vis de lui-même, devoir de faire vivre et d’assumer l’autonomie de ses choix et démarches « scientifiques », tant dans la définition de ses objets d’étude et dans la conduite de ses investigations que dans la diffusion et la mise en débats de leurs résultats.

Ni service municipal, ni bureau d’étude, l’OPDL est un organe « politique » responsable au double sens défini ci-dessus. Plus que dans la définition procédurale détaillée des termes du contrat qui le lie à la ville, c’est dans l’explicitation des engagements moraux réciproques des uns vis à vis des autres, de leur accord sur des principes partagés, des « règles du jeu » plus encore que sur des règles de droit, bref dans un socle de confiance mutuelle que réside la meilleure garantie d’un exercice « responsable » de sa mission. C’est aussi le moyen d’éviter les lourdeurs et lenteurs de procédures minutieuses d’autorisation et de contrôle des actes de l’OPDL, exercice procédural de sa responsabilité nuisible tant à l’efficacité de son travail qu’à la qualité, la crédibilité et l’utilité de sa production.
Pour la mise en œuvre d’un projet d’observatoire à l’ambition ainsi réaffirmée et renouvelée des moyens plus importants sont à l’évidence nécessaires. Il appartient donc à la Mairie de les lui fournir, tant en moyens humains permanents (un « délégué général » ou « directeur » ( ?) et des moyens de secrétariat) qu’en moyens financiers (budget de fonctionnement et crédits d’études).
Plutôt que de confier à l’OPDL lui-même la gestion de ces moyens humains et financiers il serait infiniment préférable de continuer à la confier à la « Mission démocratie locale » de la mairie, charge à elle de les mettre à disposition de l’OPDL. La qualité des relations de coopération qui se sont nouées depuis quatre ans entre la Mission et l’OPDL augure bien de leur développement dans un projet d’observatoire beaucoup plus ambitieux. En outre les complémentarités et synergies entre les responsabilités de la Mission et celles de l’observatoire auraient tout à gagner de la poursuite de cette coopération respectueuse de l’identité et de la spécificité du rôle de chacun.

Tuesday, May 29, 2007

Etre un «clandestin»

l'histoire d'un "clandestin" se résume à la misère d'une condition, l'espoir d'une nouvelle vie, l'arrivée dans un pays fantasmé, la brutalité des lois. Chaque vie a droit à une part clandestine, hors de la transparence de l'état ou du marché, chacun ou chacune a droit à son jardin secret, mais personne ne tient à cultiver dans l'angoisse. Or chez celui et celle qui ne l'a pas choisie, la clandestinité est une angoisse permanente.
Etre "clandestin" c'est se trouver ravalé à la seule condition d'individu qui a franchi de façon illégale des frontières, cependant que les causes de cet acte, souvent indispensable à la préservation de l'intégrité physique et psychologique de son auteur, sont placées hors champ. Etre un «clandestin», ici, c'est être sans histoire personnelle, sans passé, sans antécédent, sans autre antécédent du moins que la violation des dispositions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers. Au terme de ce mouvement, il n'y a donc plus ni hommes ni femmes fuyant des conditions d'existence jugées insupportables par eux, mais seulement des «Africains» et des «Maghrébins», qui, par l'argent, la ruse et le recours à des passeurs, ont réussi à déjouer les mesures destinées à contrôler l'accès au territoire national. La surexposition langagière, politique et médiatique du «clandestin» est au coeur de deux phénomènes politiques distincts mais étroitement articulés : la criminalisation de ce type d'immigration, présentée comme un danger majeur ; et la légitimation de l'ensemble de la chaîne répressive, des arrestations aux expulsions en passant par l'incarcération et le placement en zone de rétention.Souvent euphémisée en «retour dans le pays d'origine», l'expulsion par voie aérienne constitue la dernière et la plus spectaculaire de ces étapes. De là le recours aux charters, qui permettent de procéder à des reconduites massives et spectaculaires d'étrangers en situation irrégulière dans leur pays d'origine. De telles pratiques, rappelle Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l'homme, ont «pourtant été fortement critiquées par la Commission nationale de déontologie et de sécurité et jugées contraires au droit français par le Conseil d'Etat». Au nom de l'urgence et de la gravité supposées de la situation provoquée par les «clandestins», on assiste donc au triomphe de la raison d'Etat sur des principes pourtant jugés essentiels au bon fonctionnement de l'Etat de droit. Enfin, contrairement à la convention des Nations unies relative aux
droits de l'enfant et à la loi française qui /«précise que l'étranger mineur ne peut pas faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière» /(article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile), des enfants sont placés en centre de rétention en vue de leur expulsion.
De quel côté est la raison ? Celui de l’Etat et du droit légitimes en
démocratie ou celui de la résistance à des dérives politiques, parfois
catastrophiques, dont l’histoire nous enseigne le caractère récurrent y
compris en régimes démocratiques ?

Monday, May 28, 2007

Vieillir en exil

Il s'agit d'une part de prendre en compte le phénomène de l'exil dans ses dimensions sociologiques et psychologiques. L'individu qui a dû quitter son espace d'interconnaissance subit - que son départ soit volontaire ou non - un déracinement qui peut être vécu comme une expérience traumatique et une crise d'identité qui peut prendre des formes régressives diverses (souvent liées à des souvenirs et des expériences antérieures). Mme de Staël écrivait que « l'exil est quelquefois, pour les caractères vifs et sensibles, un supplice beaucoup plus cruel que la mort ». Privé de ses racines habituelles, le sujet peut voir divers sens altérés. Celui de l'espace, car les distributions et articulations topologiques de la ville étrangère sont différentes. Celui du temps, car les rythmes quotidiens et professionnels ont changé. Celui des valeurs enfin, car le pays d'accueil a une autre histoire, d'autres repères idéologiques, linguistiques, politiques et religieux, et les valeurs morales tout comme les comportements interactionnels, les moeurs et même les habitudes alimentaires n'obéissent pas aux mêmes règles. Il s'agit bien sûr de difficultés liées aux relations d'interculturalité, mais ces difficultés dépassent de beaucoup, les obstacles habituels dans la mesure où le vieillissement (avec le double sens de l'irréversible : irréversibilité du temps dans le vieillir et irréversibilité d'une trajectoire individuelle qui a perdu l'espoir d'un retour au pays natal) apporte avec lui une distance, un écart de soi à soi particulièrement douloureux et qui ne peut qu'aggraver la crise identitaire que le déplacement a pu engendrer.

Aussi « vieillir » en exil est-il une expérience qui a des conséquences multiples, singulières et originales. La vieillesse comme l'exil sont des phénomènes de contrainte : l'une a des causes chronologiques et biologiques, l'autre de manière générale répond à des facteurs d'ordre politique ou économique. Chaque fois il y a franchissement d'une frontière, celle de l'âge, et celle établie par les États. Dans les deux cas le sujet est poussé dans un territoire nouveau et inconnu. Chaque fois il y a écart, rupture et exigences d'adaptation et d'apprentissage dans un milieu ressenti souvent de manière hostile ou aliénant. Une coupure qui peut provoquer un ressassement régressif de sa vie antérieure, un phénomène d'hypersémantisation du passé, une fétichisation du souvenir, ainsi que le montre par exemple le roman de José Donoso, Le jardin d'à côté, racontant l'exil en Espagne de Chiliens après la chute d'Allende. Le personnage principal, Julio Mendez, écrivain exilé à Madrid, se trouve à un tournant dangereux de sa vie, où, à une difficile intégration s'ajoutent la prise de conscience du vieillissement, l'impuissance devant la création littéraire et la pénible recherche d'équilibre d'un couple fatigué. Nombre de ces Chiliens, figés dans leurs souvenirs, ont peu à peu perdu le sens du réel et de l'histoire, au point même que le retour est devenu tragiquement impossible. Car l'un des paradoxes du retour de l'émigré est que celui qui rentre n'est plus le même que celui qui était parti, et qu'il rentre dans un pays qui lui-même a changé entre-temps

Aux difficultés d'ordre psychologique bien connues s'ajoutent des difficultés concernant une insertion sociale rendue plus difficile en raison de la langue, de la culture et de l'histoire. Mais ces crises peuvent être d'autant plus fortes que le sujet se trouve fragilisé par ce qui peut apparaître également comme son propre exil intérieur : le vieillissement, cet exil de soi à soi, dans un sens cette fois-ci figuré.

L'entrée dans la vieillesse se caractérise en effet par des reconfigurations d'ordre tant social que psychologique. Ces reconfigurations sont d'autant plus malaisées que les repères ont été déplacés, modifiés, bouleversés.
Pour l'être en exil , il s'agit de trouver sa place - mais celle-ci est d'autant plus difficile que le sujet est âgé, l'âge ajoutant un handicap supplémentaire à la situation première.

Vieillir en exil, c'est vivre une coupure tragique avec la terre natale, ses origines, ses racines, son moi antérieur et aussi avoir pour perspective la pensée d'un retour interdit, impossible. De vivre dans l'irrémédiable, ce que l'idée présente de la mort ne fait qu'accentuer. Vivre en exil, c'est vivre un deuil, être en deuil.
Vieillir en exil, c'est vieillir deux fois. Mais en plus de cela, on constate que la précarité dans laquelle vivent certains migrants ne fait qu'accentuer un vieillissement prématuré. Ce que Philippe Pitaud dans une approche de gérontologie sociale souligne en évoquant les nombreuses difficultés concrètes du migrant âgé qui souvent vit en dehors de tout réseau familial, dans la précarité. Le centre social de Belsunce à Marseille établit des bilans médicosociaux et un suivi psychologique dont bénéficient certains migrants dans la perspective d'une survie dans une société dans laquelle ils n'ont guère accès aux droits.

La littérature a dépeint les douleurs de l'exilé. Victor Hugo s'écriait : « Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime ! » et l'exilé Du Bellay recrée un monde familier dans une poésie de l'exil qui est aussi une poésie de la révolte. « La Muse ainsi m'a fait sur ce rivage / Où je languis banni de ma maison, / Passer l'ennuy de la triste saison / Seule compagne à mon si long voyage ». On retrouvera Du Bellay avec l'essai de Maria Litsardaki, mais également les expressions de ce mal du pays qu'est la nostalgie, chez Salman Rushdie, Abla Farhoud, Shenez Patel, Mimika Kranaki, Else Lasker-Schüler, Barbey d'Aurevilly, Javier Cercas, Modiano et quelques autres, conscients de l'irréversible et mortel arrachement de soi aux autres et de soi à soi-même. Mais sans doute l'accent est-il mis ici sur un aspect négatif de la migration. Car il est aussi, il convient de le rappeler fortement, des exils salutaires, qui sauvent la vie des gens. Il est aussi des adaptations à de nouveaux mondes réussies et des reconstructions de soi heureuses et épanouies. Enfin vieillir peut être aussi vécu comme une expérience spirituelle enrichissante. Cette distance qu'instaure le vieillir avec soi et qu'instaure le déplacement dans un autre pays peut être un moment de maturation et de retournement, une crise qui peut être un recommencement ou une réélaboration de l'existence et de ses sens. Il est vrai cependant que cela reste assez exceptionnel.

LA CHUTE DES ANGES: À PROPOS DES VERSETS SATANIQUES

En 1990, Salman Rushdie entreprend de clarifier le point de vue qu'il adopte dans Les Versets sataniqueS : il s'agit de définir

la vision du monde d'un émigré. Le roman est écrit à partir de l'expérience même du déracinement, de la rupture et de la métamorphose (lente ou rapide, douloureuse ou agréable) qui est la condition de l'émigré, et, dont [...] on peut tirer une métaphore valable pour toute l'humanité

À partir de cette expérience, dans ce roman relativement peu étudié en France , sera examinée la double problématique de l'exil et du vieillissement, emblématisée par un motif récurrent : la chute abyssale de plus de huit mille mètres, « angélico diabolique » (« angelicdevilish fall ») , de deux AngloIndiens rescapés de l'explosion d'un boeing, qui ouvre le roman, vers les rivages de l'Angleterre ; elle renvoie aux traditions judéo-chrétienne et islamique de la chute des anges, qu'il s'agisse de l'ange autrefois porteur de lumière, appelé aussi Chaytan (l'adversaire), ou des nephilim, ces anges attirés sur terre par la.beauté des filles des hommes. En quête d'eux-mêmes, les deux protagonistes, jumeaux et doubles inversés, entament une vertigineuse descente dans l'allégresse inspirée par les nuages changeants. À cette légèreté et cette apesanteur succède et s'oppose un atterrissage lourd de causes et de conséquences. Dans une société qui les rejette ces émigrés connaissent un exil atroce, mais ils en sont, au moins en partie, responsables. Avec un regard lucide et sans complaisance Salman Rushdie examine en 1988 le thème de l'exil qui inclut sa propre condition et son identité inclassable : « écrivain indopakistanais-résident-britannique ? On voit à quelle folie on arrive quand on cherche à enfermer les écrivains dans des passeports »5. De fait, la folie se généralise dans ce roman foisonnant où l'illusion est maîtresse, dans les procédés d'écriture tout comme dans les mises en scène de l'exil.

VOIR JÉRUSALEM ET MOURIR

Il est des exils que l'on choisit et d'autres que la vie vous impose. Else Lasker-Schüler (1869-1945) en qui Gottfried Benn voyait la plus grande poétesse de langue allemande a connu les deux. Après avoir déserté le monde confortable de la bourgeoisie pour émigrer dans la bohème berlinoise et y vivre déguisée en Orientale, Else Lasker-Schüler, que ses origines mettaient en péril, décida en 1933 de quitter l'Allemagne pour la Suisse. C'est au cours de cet exil de six ans qu'à l'invitation d'un couple de mécènes elle se rendit pour la première fois en 1934 dans cette Terre promise où la conduisait depuis toujours son imagination poétique. À l'occasion d'un troisième périple en 1939, en raison de la situation politique internationale, Else Lasker-Schüler se vit refuser par la Suisse son visa de retour. Ce qui devait n'être qu'un voyage devint un autre exil. À soixante-dix ans, celle qui se considérait comme la lyre du peuple juif fut donc contrainte de s'établir en Palestine, de recommencer une nouvelle vie dans ce pays qui lui avait inspiré tant de livres depuis les Ballades hébraïques' (1913) jusqu'au Pays des Hébreuxz (1937).

Au-delà des expériences communes à tous les exilés, l'histoire d'Else LaskerSchüler présente un intérêt spécifique lié à l'itinéraire particulier de l'écrivain, à sa personnalité hors du commun ainsi qu'à son judaïsme.
Dans la biographie d'Else Lasker-Schüler, la Palestine apparaît comme le dernier rêve brisé d'une femme déjà malmenée par la vie. L'exil fut comme un coup de grâce, une invitation à fuir hors de ce monde que reflète la tonalité nettement religieuse des derniers poèmes.

Il semble toutefois que l'écrivain ait largement forcé le trait et dépeint un exil plus noir qu'il ne fut en réalité. On peut ainsi se demander si la vieillesse combinée à l'exil n'avait pas exacerbé - et n'exacerbe pas en général - des tendances pathologiques latentes.
Une autre question tient enfin au judaïsme d'Else Lasker-Schüler. Au sens strict, un juif ne saurait être en « exil » en terre d'Israël puisqu'il s'agit d'un retour dans la « terre des ancêtres ». Pourtant Else Lasker-Schüler se sentit étrangère parmi les siens. C'est donc, à l'intérieur du judaïsme, à toute une réflexion sur les notions de patrie et de racines qu'invite l'histoire de l'exil tardif et de la vieillesse douloureuse d'Else Lasker-Schüler à Jérusalem.

Benoît PIVERT

Tuesday, February 20, 2007

La démocratie participative, remède de la démocratie représentative?

La démocratie participative, est-elle un remède de la démocratie représentative?
La critique de la démocratie de représentation ou de délégation est ancienne, comme le montre l'histoire de la démocratie étudiée par Pierre Rosanvallon. Aux arguments de juristes (la représentation est une fiction puisque ni les électeurs ni les circonscriptions ne disposent d'un pouvoir à transmettre), se sont ajoutés ceux de politiques : faible représentativité des élus au regard de la diversité du peuple; confiscation de la démocratie par la bourgeoisie pour masquer sa domination... Ils convergent vers l'idée largement partagée d'une « crise de la démocratie représentative » et la recherche de remèdes à celle-ci.

Le renouvellement des critiques

Cette critique s'amplifie et prend un nouveau sens dans les années qui suivent l'adoption de la Constitution de la Ve République, puis avec le mouvement de i968. Le numéro de la revue Pouvoirs, paru en 1978, consacré au régime représentatif est intéressant parce qu'il assure la synthèse et la diffusion d'idées développées dans des études universitaires publiées ou en cours sur le sujet (comme la thèse de Dominique Turpin, De la démocratie rePrésentative). L'énoncé des critiques de la représentation débouche sur la question : 1a représentation est-elle une technique dépassée ? Bien que la revue propose une réponse nuancée (appel à l'instauration d'un nouveau système représentatif), l'examen des arguments témoigne de l'ampleur donnée au problème. Les griefs anciens sont repris pour en montrer l'aggravation : ainsi il existe une difficulté croissante à « représenter à la fois "la nation", plus petit dénominateur commun entre des millions d'individus originaux, et sociologiquement chacun d'eux dans soli unicité ». Surtout de nouvelles critiques apparaissent, qui prennent en compte les transformations de la société et des techniques. Elles soulignent le décalage grandissant entre les formes actuelles de démocratie et le contexte : 1a représentation par les élus est concurrencée par le développement des mass-media modernes et des sondages; les « farces vives » qui pourraient assumer une part des responsabilités ne sont pas représentées; la complexité croissante des affaires économiques tend aussi à priver les élus d'une part de leur pouvoir au profit des experts, « techniciens administratifs et techniciens syndicaux ».

« Contre la politique Professionnelle »
Parmi ces critiques, la dénonciation de la professionnalisation de la vie politique trouve un nouveau souffle, comme le montre le livre de Jacques Julliard, Contre la politique professionnelle paru en 1977. La personnalité de l'auteur témoigne de la diffusion du thème. Ancien rénovateur de l'UNEF et du SGEN qu'il a contribué à écarter de l'influence du PCF, aux premiers rangs de la CFDT pour engager les militants dans le mouvement en 1968, collaborateur d'Esprit et du Nouvel Observateur, il est « un passeur que seuls arrêtent les dogmatismes ». Partisan de la « stratégie autonome » à l'égard des partis, il a cependant appelé et activement participé aux Assises du socialisme. Contre la politique professionnelle est aussi le témoin d'une conjoncture : 1977 est l'année où le Parti socialiste prend l'ascendant sur le Parti communiste au sein d'une Union de la gauche déchirée, où le débat sur les modèles organisationnels s'aiguise, où l'enjeu d'une « nouvelle culture politique » prend forme.

Le livre de Jacques Julliard reprend les critiques de la « langue de bois » des hommes politiques, du décalage entre langage et réalité, de l'imperméabilité des cercles dirigeants des partis aux débats de la base, de la prétention des partis à se comporter « comme des ordres spirituels », et met en cause la professionnalisation de la vie politique. II l'analyse comme « une des formes de division sociale du travail qui ont marqué le développement de la société industrielle [...] et celui de l'État moderne ».

Décapant dans son titre, l'ouvrage est cependant modéré dans ses conclusions. Tout en évoquant la proposition faite par Moïsei Ostrogorski au début du siècle de substituer aux partis des organisations temporaires, à but déterminé, il appelle à modifier les structures de ceux-ci pour en faire des « partis au service du mouvement » (selon le modèle du Parti radical italien ). Concrètement, il s'agit de faire du PS « un carrefour des forces vives de la gauche française » (id.). II incite aussi à donner plus de place à d'autres organisations (syndicats, groupements et sociétés de pensée, etc., dans la mise en oeuvre de la démocratie.
La construction de l'idée de « démocratie participative »
L'idée de démocratie participative se développe à partir du milieu des années 1950 et culmine dans la deuxième moitié des années 1970 avec une orchestration associative reprise en mineur par le Parti socialiste. La participation est parée des qualités nécessaires pour remédier aux tares de la représentation.

La démocratie participative, complément et correctif de la démocratie représentative
La distinction entre démocratie représentative et démocratie participative est explicitée par Pierre Mendès France dans La République moderne (1962) : il s'agit de « dépasser l'étape de la démocratie traditionnelle de représentation pour réaliser la démocratie de participation ». Celle-ci a, selon lui, une première qualité: elle apporte une continuité dans le temps et ainsi soutient l'intérêt des électeurs. « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une case, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s'abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen » Elle a aussi l'avantage de favoriser le contrôle sur les élus, et de vivifier ainsi la vie politique : « Si cette présence vigilante ne se fait pas sentir, les gouvernements [...], les fonctionnaires, les élus [...] cèdent bientôt soit aux tentations de l'arbitraire, soit aux routines et aux droits acquis »

Le thème de la participation s'inscrit ainsi dans un courant ancien pour lequel la mobilisation active, la conscience du citoyen sont des conditions du bon fonctionnement de la démocratie. L'opposition au gaullisme, à la guerre d'Algérie donne une nouvelle audience à ces idées, qui s'étendent bien au-delà de l'influence propre du Parti radical. La démocratie participative est donc d'abord pensée comme une école de citoyenneté : elle combat l'indifférence, éveille aux enjeux politiques et forme aux responsabilités. Elle ne se substitue pas à la démocratie représentative, mais en restitue les fondements, la complète. Le Parti socialiste est particulièrement à l'aise dans la rhétorique de la complémentarité lorsqu'il s'adresse aux associations du cadre de vie : « Toutes les propositions socialistes dans ce domaine visent à développer un droit à la participation des usagers [...] Un tel choix [l'autogestion] suppose une démocratie participative qui complète une démocratie élective »

La démocratie participative, outil de contestation du système politique
La critique des défauts de la démocratie représentative débouche dans les années 1970 sur une double contestation, exprimée par des courants de pensée inspirés par le marxisme. À la contestation du système politique et social, s'ajoute celle du principe même de représentation : puisque la démocratie représentative ne peut rendre compte des contradictions sociales, des revendications exprimées dans des luttes, elle doit laisser la place à un autre mode d'organisation politique. L'exemple-type qui est donné à l'époque est celui des luttes qui se mènent contre la destruction de quartiers anciens ou leur réaménagement. Appelées « luttes urbaines » par le Centre de sociologie urbaine dirigé alors par Manuel Castells, elles sont considérées comme « rebelles à la représentation ». Plus largement, l'accent est mis sur le fait que certaines grèves, certains mouvements subvertissent les systèmes politiques locaux, en opposant aux décisions étatiques et municipales des mobilisations populaires, ou de manière plus novatrice, des contre-propositions. Dans cette perspective, la démocratie participative doit remplacer la démocratie représentative.

La lutte des habitants du quartier de l'Alma Gare à Roubaix, organisée par l'Association populaire des familles, a souvent été considérée comme l'expérience emblématique de la démocratie participative. L'étude que j'ai menée montre cependant une réalité plus complexe. Commençant par la contestation contre la démolition du quartier, l'association invente des formes de participation pour faire valoir et rendre réalisable un projet de réhabilitation prenant en compte les exigences des habitants. Le long processus qui conduit à la définition du nouveau quartier montre l'imbrication originale de formes de démocratie participative et représentative. La participation existe à deux niveaux : celui des habitants, dont les demandes sont en partie traduites en projets architecturaux et d'aménagement urbain par une équipe d'architectes et de sociologues ; celui des animateurs de la lutte qui participent aux réunions d'un « Groupe de travail » chargé de formaliser un accord entre les parties concernées. Le Conseil municipal, instance de représentation, en validant l'accord, le
time et confirme la prééminence du politique. Mais le système ne fonctionne que parce qu'il comporte tout un ensemble de médiations : techniciens de l'urbanisme faisant l'interface entre leur organisme, le Parti socialiste et les habitants, élus municipaux, responsables associatifs. Enfin, si la participation est accompagnée d'une pression populaire organisée par l'association, le processus maintient un arbitrage du politique entre des choix. Cette disposition rend bien compte de l'articulation qui s'opère entre le rôle de l'association - élaborer des propositions - et celui de l'instance élue - choisir parmi les possibles -; entre participation et représentation.

Cet exemple, par son caractère exceptionnel, montre aussi les limites de la réflexion sur les formes concrètes et les apports de la démocratie participative. La participation ne dépasse guère l'horizon du quartier, et se heurte en général aux faibles moyens tant financiers que d'expertise des associations. Au mieux capable de fournir les termes d'un choix, elle reste sans influence sur le système politique local.