Tuesday, February 20, 2007

La démocratie participative, remède de la démocratie représentative?

La démocratie participative, est-elle un remède de la démocratie représentative?
La critique de la démocratie de représentation ou de délégation est ancienne, comme le montre l'histoire de la démocratie étudiée par Pierre Rosanvallon. Aux arguments de juristes (la représentation est une fiction puisque ni les électeurs ni les circonscriptions ne disposent d'un pouvoir à transmettre), se sont ajoutés ceux de politiques : faible représentativité des élus au regard de la diversité du peuple; confiscation de la démocratie par la bourgeoisie pour masquer sa domination... Ils convergent vers l'idée largement partagée d'une « crise de la démocratie représentative » et la recherche de remèdes à celle-ci.

Le renouvellement des critiques

Cette critique s'amplifie et prend un nouveau sens dans les années qui suivent l'adoption de la Constitution de la Ve République, puis avec le mouvement de i968. Le numéro de la revue Pouvoirs, paru en 1978, consacré au régime représentatif est intéressant parce qu'il assure la synthèse et la diffusion d'idées développées dans des études universitaires publiées ou en cours sur le sujet (comme la thèse de Dominique Turpin, De la démocratie rePrésentative). L'énoncé des critiques de la représentation débouche sur la question : 1a représentation est-elle une technique dépassée ? Bien que la revue propose une réponse nuancée (appel à l'instauration d'un nouveau système représentatif), l'examen des arguments témoigne de l'ampleur donnée au problème. Les griefs anciens sont repris pour en montrer l'aggravation : ainsi il existe une difficulté croissante à « représenter à la fois "la nation", plus petit dénominateur commun entre des millions d'individus originaux, et sociologiquement chacun d'eux dans soli unicité ». Surtout de nouvelles critiques apparaissent, qui prennent en compte les transformations de la société et des techniques. Elles soulignent le décalage grandissant entre les formes actuelles de démocratie et le contexte : 1a représentation par les élus est concurrencée par le développement des mass-media modernes et des sondages; les « farces vives » qui pourraient assumer une part des responsabilités ne sont pas représentées; la complexité croissante des affaires économiques tend aussi à priver les élus d'une part de leur pouvoir au profit des experts, « techniciens administratifs et techniciens syndicaux ».

« Contre la politique Professionnelle »
Parmi ces critiques, la dénonciation de la professionnalisation de la vie politique trouve un nouveau souffle, comme le montre le livre de Jacques Julliard, Contre la politique professionnelle paru en 1977. La personnalité de l'auteur témoigne de la diffusion du thème. Ancien rénovateur de l'UNEF et du SGEN qu'il a contribué à écarter de l'influence du PCF, aux premiers rangs de la CFDT pour engager les militants dans le mouvement en 1968, collaborateur d'Esprit et du Nouvel Observateur, il est « un passeur que seuls arrêtent les dogmatismes ». Partisan de la « stratégie autonome » à l'égard des partis, il a cependant appelé et activement participé aux Assises du socialisme. Contre la politique professionnelle est aussi le témoin d'une conjoncture : 1977 est l'année où le Parti socialiste prend l'ascendant sur le Parti communiste au sein d'une Union de la gauche déchirée, où le débat sur les modèles organisationnels s'aiguise, où l'enjeu d'une « nouvelle culture politique » prend forme.

Le livre de Jacques Julliard reprend les critiques de la « langue de bois » des hommes politiques, du décalage entre langage et réalité, de l'imperméabilité des cercles dirigeants des partis aux débats de la base, de la prétention des partis à se comporter « comme des ordres spirituels », et met en cause la professionnalisation de la vie politique. II l'analyse comme « une des formes de division sociale du travail qui ont marqué le développement de la société industrielle [...] et celui de l'État moderne ».

Décapant dans son titre, l'ouvrage est cependant modéré dans ses conclusions. Tout en évoquant la proposition faite par Moïsei Ostrogorski au début du siècle de substituer aux partis des organisations temporaires, à but déterminé, il appelle à modifier les structures de ceux-ci pour en faire des « partis au service du mouvement » (selon le modèle du Parti radical italien ). Concrètement, il s'agit de faire du PS « un carrefour des forces vives de la gauche française » (id.). II incite aussi à donner plus de place à d'autres organisations (syndicats, groupements et sociétés de pensée, etc., dans la mise en oeuvre de la démocratie.
La construction de l'idée de « démocratie participative »
L'idée de démocratie participative se développe à partir du milieu des années 1950 et culmine dans la deuxième moitié des années 1970 avec une orchestration associative reprise en mineur par le Parti socialiste. La participation est parée des qualités nécessaires pour remédier aux tares de la représentation.

La démocratie participative, complément et correctif de la démocratie représentative
La distinction entre démocratie représentative et démocratie participative est explicitée par Pierre Mendès France dans La République moderne (1962) : il s'agit de « dépasser l'étape de la démocratie traditionnelle de représentation pour réaliser la démocratie de participation ». Celle-ci a, selon lui, une première qualité: elle apporte une continuité dans le temps et ainsi soutient l'intérêt des électeurs. « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une case, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s'abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen » Elle a aussi l'avantage de favoriser le contrôle sur les élus, et de vivifier ainsi la vie politique : « Si cette présence vigilante ne se fait pas sentir, les gouvernements [...], les fonctionnaires, les élus [...] cèdent bientôt soit aux tentations de l'arbitraire, soit aux routines et aux droits acquis »

Le thème de la participation s'inscrit ainsi dans un courant ancien pour lequel la mobilisation active, la conscience du citoyen sont des conditions du bon fonctionnement de la démocratie. L'opposition au gaullisme, à la guerre d'Algérie donne une nouvelle audience à ces idées, qui s'étendent bien au-delà de l'influence propre du Parti radical. La démocratie participative est donc d'abord pensée comme une école de citoyenneté : elle combat l'indifférence, éveille aux enjeux politiques et forme aux responsabilités. Elle ne se substitue pas à la démocratie représentative, mais en restitue les fondements, la complète. Le Parti socialiste est particulièrement à l'aise dans la rhétorique de la complémentarité lorsqu'il s'adresse aux associations du cadre de vie : « Toutes les propositions socialistes dans ce domaine visent à développer un droit à la participation des usagers [...] Un tel choix [l'autogestion] suppose une démocratie participative qui complète une démocratie élective »

La démocratie participative, outil de contestation du système politique
La critique des défauts de la démocratie représentative débouche dans les années 1970 sur une double contestation, exprimée par des courants de pensée inspirés par le marxisme. À la contestation du système politique et social, s'ajoute celle du principe même de représentation : puisque la démocratie représentative ne peut rendre compte des contradictions sociales, des revendications exprimées dans des luttes, elle doit laisser la place à un autre mode d'organisation politique. L'exemple-type qui est donné à l'époque est celui des luttes qui se mènent contre la destruction de quartiers anciens ou leur réaménagement. Appelées « luttes urbaines » par le Centre de sociologie urbaine dirigé alors par Manuel Castells, elles sont considérées comme « rebelles à la représentation ». Plus largement, l'accent est mis sur le fait que certaines grèves, certains mouvements subvertissent les systèmes politiques locaux, en opposant aux décisions étatiques et municipales des mobilisations populaires, ou de manière plus novatrice, des contre-propositions. Dans cette perspective, la démocratie participative doit remplacer la démocratie représentative.

La lutte des habitants du quartier de l'Alma Gare à Roubaix, organisée par l'Association populaire des familles, a souvent été considérée comme l'expérience emblématique de la démocratie participative. L'étude que j'ai menée montre cependant une réalité plus complexe. Commençant par la contestation contre la démolition du quartier, l'association invente des formes de participation pour faire valoir et rendre réalisable un projet de réhabilitation prenant en compte les exigences des habitants. Le long processus qui conduit à la définition du nouveau quartier montre l'imbrication originale de formes de démocratie participative et représentative. La participation existe à deux niveaux : celui des habitants, dont les demandes sont en partie traduites en projets architecturaux et d'aménagement urbain par une équipe d'architectes et de sociologues ; celui des animateurs de la lutte qui participent aux réunions d'un « Groupe de travail » chargé de formaliser un accord entre les parties concernées. Le Conseil municipal, instance de représentation, en validant l'accord, le
time et confirme la prééminence du politique. Mais le système ne fonctionne que parce qu'il comporte tout un ensemble de médiations : techniciens de l'urbanisme faisant l'interface entre leur organisme, le Parti socialiste et les habitants, élus municipaux, responsables associatifs. Enfin, si la participation est accompagnée d'une pression populaire organisée par l'association, le processus maintient un arbitrage du politique entre des choix. Cette disposition rend bien compte de l'articulation qui s'opère entre le rôle de l'association - élaborer des propositions - et celui de l'instance élue - choisir parmi les possibles -; entre participation et représentation.

Cet exemple, par son caractère exceptionnel, montre aussi les limites de la réflexion sur les formes concrètes et les apports de la démocratie participative. La participation ne dépasse guère l'horizon du quartier, et se heurte en général aux faibles moyens tant financiers que d'expertise des associations. Au mieux capable de fournir les termes d'un choix, elle reste sans influence sur le système politique local.