Monday, May 28, 2007

LA CHUTE DES ANGES: À PROPOS DES VERSETS SATANIQUES

En 1990, Salman Rushdie entreprend de clarifier le point de vue qu'il adopte dans Les Versets sataniqueS : il s'agit de définir

la vision du monde d'un émigré. Le roman est écrit à partir de l'expérience même du déracinement, de la rupture et de la métamorphose (lente ou rapide, douloureuse ou agréable) qui est la condition de l'émigré, et, dont [...] on peut tirer une métaphore valable pour toute l'humanité

À partir de cette expérience, dans ce roman relativement peu étudié en France , sera examinée la double problématique de l'exil et du vieillissement, emblématisée par un motif récurrent : la chute abyssale de plus de huit mille mètres, « angélico diabolique » (« angelicdevilish fall ») , de deux AngloIndiens rescapés de l'explosion d'un boeing, qui ouvre le roman, vers les rivages de l'Angleterre ; elle renvoie aux traditions judéo-chrétienne et islamique de la chute des anges, qu'il s'agisse de l'ange autrefois porteur de lumière, appelé aussi Chaytan (l'adversaire), ou des nephilim, ces anges attirés sur terre par la.beauté des filles des hommes. En quête d'eux-mêmes, les deux protagonistes, jumeaux et doubles inversés, entament une vertigineuse descente dans l'allégresse inspirée par les nuages changeants. À cette légèreté et cette apesanteur succède et s'oppose un atterrissage lourd de causes et de conséquences. Dans une société qui les rejette ces émigrés connaissent un exil atroce, mais ils en sont, au moins en partie, responsables. Avec un regard lucide et sans complaisance Salman Rushdie examine en 1988 le thème de l'exil qui inclut sa propre condition et son identité inclassable : « écrivain indopakistanais-résident-britannique ? On voit à quelle folie on arrive quand on cherche à enfermer les écrivains dans des passeports »5. De fait, la folie se généralise dans ce roman foisonnant où l'illusion est maîtresse, dans les procédés d'écriture tout comme dans les mises en scène de l'exil.